Histoire des Chemins de fer en Suisse
Locomotive "Rhein" à Zürich en 1867. Source : Wikimedia Commons
Le 10 août 1847, la première liaison ferroviaire suisse relie Zürich à Baden. Elle totalise 25 kilomètres. Le train est baptisé le « Spanishbrötli », un clin d'oeil à une spécialité pâtissière de Baden dont les Zürichois sont particulièrement friands.
La Suisse est très en retard sur ses voisins européens qui totalisent déjà plusieurs milliers de kilomètres de voies ferrées. 6'000 en Allemagne et déjà 10'000 en Angleterre ! Un vaste réseau européen se met en place et, si la Suisse ne se dépêche pas, elle risque d'en être exclue.
Mais les travaux s'annoncent colossaux et très coûteux. Ponts, tunnels devront franchir montagnes, vallées, lacs et rivières. La Confédération hésite à engager seule de tels moyens tandis que de nombreux politiciens militent déjà pour une gestion privée des chemins de fer. Certains d'entre eux sont d'importants entrepreneurs intéressés par l'ouverture de ce marché prometteur.
1853
La Confédération décide de confier la gestion de la totalité des chemins de fer suisses à des compagnies privées. Les partisans du privé jubilent, persuadés que cette décision va accélérer la construction du rail et éviter l'isolement européen.
La gare française à Bâle en 1845. Source : Wikimedia Commons
Le conseiller national Alfred Escher personnifie alors le combat pour la privatisation du rail suisse. Ce politicien co-fondera la plus grande société ferroviaire de Suisse, les Chemins de fer du Nord-Est.
Aussitôt, les chantiers commencent. Ils sont colossaux et coûteront plus de 442 millions de francs aux compagnies privées. En dix ans, la Suisse totalise 1300 kilomètres de rail. Les travailleurs, étrangers pour la plupart, sont soumis aux pressions financières. Ils travaillent dans des conditions extrêmes pour un salaire de misère. Des milliers à y laisseront leur vie.
Réplique de la locomotive « Limmat ». L'originale a été démolie en 1882. Source : Nelson Minar / Flickr (CC BY-SA 2.0)
Le train « Spanischbrötli »
En 1847, le premier train de l'histoire suisse Zürich-Baden porte le curieux nom de « Spanischbrötli ». Littéralement, le « petit pain espagnol ». Rien à voir, n'est-ce pas ? Et pourtant. Le Spanischbrötli est une spécialité pâtissière confectionnée à Baden dont les Zürichois sont friands. Grâce au train, les citadins vont désormais pouvoir les déguster à volonté, tout frais livrés du jour. Le train prend alors le nom... de la précieuse marchandise qu'il transporte.Voyage jubilaire du train Spanisch-Brötli-Bahn à Baden en 1947. Source : Historisches Museum Baden, Werner Nefflen (CC BY-SA 4.0)
28 Mai 1857
Le tunnel de Hausenstein sur la ligne en construction Bâle-Olten est un défi : il permettra au rail suisse de franchir un premier obstacle naturel majeur, celui des reliefs du Jura. Il s'agira aussi de la deuxième ligne à double-voie construite en Suisse.
Mais ce 28 mai 1857, un incendie piège 52 ouvriers dans le tube. Les secours mettront huit jours à accéder au site du sinistre et ne pourront que constater le décès des travailleurs, coincés derrière un pan effondré du tunnel. 11 sauveteurs seront également tués dans cette catastrophe qui coûtera au total 63 vies.
La ligne du Hausenstein sera finalement inaugurée par la Schweizerische Centralbahn en mai 1858. Elle ouvrira la voie aux gigantesques chantiers de franchissement des Alpes.
1859
12 ans après l'inauguration de la première ligne ferroviaire du pays, 5 compagnies privées se partagent le réseau ferré suisse, sans réelle coordination. Il n'y a aucune continuité d'une région à l'autre, aucune cohérence dans les tracés, dans les horaires ou les tarifs. Il est toujours impossible de relier la Suisse alémanique et la Suisse romande, certaines lignes finissent même perdues dans la nature. Sans compter les décalages horaires qui existent alors entre cantons... Bref, le voyage en train ressemble de plus en plus à une folle aventure pour les usagers qui ne vont pas tarder à manifester leur mécontentement.
Les compagnies ferroviaires ne parviennent pas à rentabiliser les centaines de millions de francs engagés dans les travaux. Si certaines compagnies tentent des rapprochements ou des fusions, la majorité d'entre elles menace de faire faillite. Seules les compagnies Central Suisse et Nord-Est Suisse sont encore bénéficiaires.
1863
Alors que la Suisse compte bientôt 1400 kilomètres de voie ferrée, le tourisme déferle après que que le voyagiste anglais Thomas Cook y organise le premier « Conducted Tour », voyage organisé de groupes sous la conduite d'un guide.
Nombre d'auteurs du XVIIIe siècle avaient déjà vanté les panoramas saisissants qui encadrent ce bucolique « peuple de bergers » mais c'est l'avènement du chemin de fer qui contribuera largement à l'expansion de cette industrie émergente.
1872
De nombreuses compagnies ferroviaires suisses font faillite. Les cheminots se mettent en grève et les usagers s'impatientent. Certains évoquent un rachat des chemins de fer par la Confédération.
1882
L'architecte et entrepreneur genevois Louis Favre remporte le concours pour le percement du tunnel du Gothard. Les travaux débutent le 13 septembre 1872 mais le chantier prend du retard. La Compagnie du chemin de fer du Gothard a mal évalué la géologie des roches et les problèmes techniques s'enchaînent.
Ouvriers sur le chantier du Gothard, à Airolo (TI). Source : Wikimedia Commons
Louis Favre meurt sur le chantier le 19 juillet 1879 à l'âge de 53 ans. La direction des travaux, reprise par l'ingénieur Edouard Bossi, conduira le tunnel à son ouverture le 1er janvier 1882.
La mort de Louis Favre sur le chantier du Gothard. Source : Wikimedia Commons
Pour la première fois, le rail franchit les Alpes. La ligne du St-Gothard devient le chef-d'oeuvre du réseau ferroviaire suisse. Et européen.
20 février 1898
Après un premier refus en 1891, le peuple suisse accepte en 1898 le rachat et la réorganisation des chemins de fer par la Confédération, soit près de cinquante ans après l'inauguration de la première ligne ferroviaire Zürich-Baden. Les trains deviennent alors « publics ». Le coût est énorme et le débat qui précède la votation est animé. Le scrutin est pourtant très clair, près de 8 Suisse sur 10 plébiscitent une étatisation du rail. Elle découlera sur la création des CFF, les Chemins de Fer Fédéraux.
Réseau ferroviaire suisse entre 1847 et 1908. Source : Wikimedia Commons
Cette nouvelle compagnie publique supporte la dette colossale du rachat des cinq compagnies privées (1 milliard de francs). Elle pénalisera le développement de la jeune entreprise jusqu'en 1944.
Conclusion : Les Chemins de fer en Suisse
Dès la votation populaire du 20 février 1898, l'État rachète les compagnies privées suisses. Les chemins de fer, jusque là « privés », deviennent donc « publics ». Pour l'État, le coût est colossal ! Il atteint un milliard de francs. Afin de ne pas devoir supporter cette dette, la Confédération crée les CFF, Chemins de Fer Fédéraux, une entreprise publique qui s'acquitte dès lors seule de cette lourde créance.
Le chemin de fer a définitivement modifié le paysage économique et social de la Suisse. Il a relié les différentes régions linguistiques du pays et l'a connecté au réseau européen.
Le rail contribue au tournant décisif que la Suisse amorce ; industriel, tertiaire, touristique. Au début du XXe siècle, son économie compte parmi les plus puissantes du monde. Les transports facilitent et multiplient les échanges commerciaux, le secteur tertiaire explose, triplant ses effectifs en trente ans.
Tandis que le train tisse sa toile, la maîtrise de l'électricité ouvre déjà la voie à une nouvelle ère qui révolutionnera les communications mais aussi les transports. Le télégraphe est inventé en 1844 et le téléphone en 1876 alors que, déjà, les premiers tramways et métro sillonnent les grandes villes.
Tramway à Vevey, vers 1890. Source : Wikimedia Commons
Le moteur à explosion est inventé à la fin du XIXe siècle. Installé dans les premières automobiles, il va révolutionner les transports terrestres et freiner l'expansion des chemins de fer.
En 1908, la « Ford T », première voiture assemblée en série, marque un tournant décisif dans l'histoire des transports. Des États-Unis, qui tracent la première route transcontinentale de l'histoire, la mythique « Route 66 », jusqu'en Europe, l'automobile devient progressivement un produit de consommation courant.
La Ford T à Seattle en 1909. Source : Wikimedia Commons
Le transport devient individuel... et individualiste.