La mobilisation de 1939 en Suisse
Affiche de Mobilisation générale en Suisse, le 1er septembre 1939. Source : Wikimedia Commons
Octobre 1936
Création de l'Axe, alliance entre l'Allemagne hitlérienne et l'Italie mussolinienne.
Le système démocratique européen se retrouve menacé sur trois fronts ; communiste à l'est, nazi au nord et fasciste au sud. Tous prônent la supériorité d'un chef suprême.
En Suisse, alors que des sympathies fascistes s'expriment dans les plus grandes villes, le patriotisme s'exacerbe. Face aux menaces que constituent désormais les deux grands voisins de la Confédération, l'armée est renforcée : réarmement et allongement du service obligatoire.
25 novembre 1936
Pacte Anti-komintern entre l'Allemagne et le Japon. L'Italie rejoindra cette alliance une année plus tard.
29-30 septembre 1938
Accords de Munich. Paris et Londres acceptent le rattachement d'une partie du territoire tchèque à l'Allemagne nazie.
15 mars 1939
Invasion allemande de la totalité du territoire tchèque.
21 mai 1939
Signature du « Pacte d'acier » entre l'Allemagne et l'Italie, concrétisation militaire de l'« Axe ». Les deux pays s'engagent à entrer conjointement en guerre.
3 août 1939
Exposition nationale suisse à Zurich. Alors que les menaces de guerre se rapprochent, la Suisse se rassemble autour de cet événement national qui poursuit l'objectif d'unir le pays et ainsi éviter un « Röstigraben » (frontière de röstis) très marqué lors de la Première Guerre mondiale.
23 août 1939
Pacte de non-agression entre l'Allemagne et l'URSS.
29 août 1939
En Suisse, le Conseil fédéral obtient les pleins pouvoirs du Parlement et réitère la position neutre de la Suisse.
Extrait du message du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale :
(Le peuple) sait qu'un petit pays, entouré de puissants voisins, ne doit point s'immiscer dans les différends qui séparent ces trois États, mais qu'il doit, en cas de guerre, remplir sa mission historique, qui est d'atténuer les souffrances des malades et des blessés et de servir la cause (...) et les oeuvres de la paix.
30 août 1939
Élection du commandant de corps vaudois Henri Guisan au poste de Général de l'armée suisse par l'Assemblée fédérale (204 voix sur 229). Ce grade suprême est exceptionnellement nommé en temps de guerre uniquement.
Le général Guisan à Delémont, en 1939. Source : Archives privées
Extraits du serment du Général nouvellement élu :
Je jure fidélité à la Confédération. Je jure de protéger et de défendre de toutes mes forces et au péril de ma vie, avec les troupes qui me sont confiées, l'honneur, l'indépendance et la neutralité de la patrie.
31 août 1939
Déclaration de neutralité du Conseil fédéral à quarante États. Extraits :
La tension internationale qui a obligé la Confédération suisse à prendre des mesures militaires l'incite à manifester à nouveau son inébranlable volonté de ne se départir en rien des principes de neutralité qui inspirent sa politique depuis plusieurs siècles et auxquels le peuple suisse est profondément attaché parce qu'ils répondent à ses aspirations, à son organisation intérieure et à sa situation vis-à-vis des autres États. En vertu du mandat spécial qui vient de lui être décerné par l'Assemblée fédérale, le Conseil fédérale déclare donc formellement que la Confédération suisse maintiendra et défendra par tous les moyens dont elle dispose l'inviolabilité de son territoire et la neutralité que les traités de 1815 et les engagement qui les complètent ont reconnu être dans les vrais intérêts de la politique de l'Europe entière.
1 septembre 1939
Invasion de la Pologne par l'Allemagne sans déclaration de guerre préalable. Début « officiel » de la Deuxième Guerre mondiale.
Dès que la Conseil fédéral a connaissance de l'agression allemande, il publie un ordre de mobilisation générale pour le lendemain.
2 septembre 1939
Mobilisation générale en Suisse. Tous les hommes astreints au service militaire (plus de 400'000 hommes dans l'immédiat, jusqu'à 800'000 au plus fort des tensions internationales) doivent sans délai rejoindre leur contingent. Télégraphe, téléphone, courrier, affiches, radio, tocsin et même crieurs publics : tous les moyens sont bons pour faire circuler l'ordre de mobilisation, jusque dans les vallées les plus reculées.
3 septembre 1939
L'Angleterre et la France déclarent la guerre à l'Allemagne suite à l'invasion de la Pologne.
En Suisse, 430'000 soldats sont à leur poste.
18 septembre 1939
Invasion de la Pologne par l'URSS. La Pologne est désormais partagée entre l'Allemagne et la l'Union soviétique.
Avril 1940
Au sein de l'armée suisse, création du SCF, Service complémentaire féminin. 15'000 femmes volontaires, non-armées, s'engagent avant la fin de l'année.
10 mai – 21 juin 1940
« Guerre éclair » (Blitzkrieg) spectaculaire de l'Allemagne. En 6 semaines (!), elle envahit la Belgique, la Hollande et le Luxembourg neutres. Elle occupe le Nord de la France et Hitler défile à Paris, dans des rues... désertes.
Adolf Hitler à Paris le 23 juin 1940. Source : Deutsches Bundesarchiv / Wikimedia Commons (CC BY-SA 3.0 DE)
10 juin 1940
Entrée en guerre de l'Italie aux côtés de l'Allemagne.
22 juin 1940
Armistice franco-allemand. La France accepte de poser les armes en échange d'une « zone libre », dans le sud du pays. Elle est placée sous l'autorité du Maréchal Pétain, sa capitale est Vichy.
La Suisse, désormais encerclée à 95% par les Forces de l'Axe, craint une invasion allemande. Certaines cartes géographiques allemandes incluraient déjà la Confédération helvétique au coeur du IIIe Reich, Mussolini louche vers le Tessin et des mouvements d'extrême droite suggèrent l'entrée de nazis au Conseil fédéral.
Les zones francaises occupées pendant la Seconde Guerre mondiale. Source : Eric Gaba / Wikimedia Commons (CC BY-SA 4.0)
La Suisse est encerclée à 95% par l'Axe en juin 1940. Source : Historicair / Wikimedia Commons (CC BY-SA 3.0)
24 juin 1940
Date convenue de la création du « Réduit national », plan stratégique prévoyant le repli de l'essentiel des troupes suisses dans les Alpes et le minage des principaux axes de passage internationaux. La Suisse menace de les faire exploser en cas d'invasion.
25 juillet 1940
Discours du Général Guisan sur la prairie du Grütli.
Convocation discrète de 650 officiers supérieurs afin de les informer de la situation politique suite à l'armistice franco-allemand et de les remotiver. Les militaires présents sont ensuite chargés de transmettre le message aux troupes.
Extraits (retranscription d'un officier présent, aucune trace écrite du discours n'existe) :
J'ai tenu à vous réunir en ce lieu historique, terre symbolique de notre indépendance, pour vous mettre au courant de la situation et vous parler de soldat à soldats. Nous sommes à un tournant de notre histoire. Il s'agit de l'existence même de la Suisse. Ici, soldats de 1940, nous nous inspirerons des leçons et de l'esprit du passé pour envisager résolument le présent et l'avenir du pays, pour entendre l'appel qui monte de cette prairie. C'est en considérant l'avenir avec lucidité que nous parerons aux difficultés toujours actuelles que le pacte de 1291 appelait déjà la malice des temps.
Carte postale du Général Guisan, datée de 1940. Source : Wikimedia Commons
Août – novembre 1940
« Bataille d'Angleterre ». Bombardements répétés et intensifs de l'armée de l'air allemande (Luftwaffe) sur l'Angleterre, en particulier Londres et les principales villes minières.
Novembre 1940
En Suisse, introduction de l'obscurcissement pour se protéger des vols de nuit des armées étrangères. Il induit l'interdiction de l'éclairage public et l'obligation de volets.
27 septembre 1940
« Pacte tripartite » entre l'Allemagne, l'Italie et le Japon définissant l'établissement d'un « Ordre nouveau ». Berlin et Rome ébauchent l'« Europe nouvelle » tandis que le Japon planifie l'occupation de tout l'Extrême-Orient.
21 juin 1941
Rupture du Pacte germano-soviétique ; l'Allemagne envahit l'URSS qui devient l'alliée des Occidentaux... jusqu'à la Guerre froide.
7 décembre 1941
Raid aérien de l'aviation japonaise contre la base militaire américaine de Pearl Harbor, dans l'océan pacifique. Les États-Unis entrent dans le conflit. L'Allemagne et l'Italie, alliés du Japon, leur déclarent la guerre.
11 novembre 1942
La zone sud de la France, « Zone libre » selon les termes de l'armistice franco-allemand signé le 22 juin 1940, est à son tour occupée par l'Allemagne.
1er avril 1944
Bombardement accidentel des Alliés sur la ville suisse de Schaffhouse, située à la frontière allemande. 40 personnes meurent, 100 sont blessées, les dégâts sont considérables. D'autres « bombardements accidentels » largués par les deux camps en guerre - mais heureusement moins dévastateurs qu'à Schaffhouse - surviendront sur le territoire helvétique, comme en atteste ce reportage de la Radio Suisse Romande daté du 31 octobre 1944, « La guerre a passé sur un village suisse ».
6 juin 1944
Les Alliés débarquent en Normandie. Le sort de cette guerre sordide est désormais scellé.
Débarquement des troupes sur les plages normandes, juin 1944. Source : Wikimedia Commons
20 août 1944
En Suisse, fin du service actif.
Libération de Paris. De Gaulle rentre à la maison.
Aussitôt Paris libérée, le Général de Gaulle descend fièrement les Champs-Élysées, en août 1944. Source : Wikimedia Commons
8 mai 1945
Capitulation de l'Allemagne sans conditions. Fin de la Deuxième Guerre Mondiale.
Le maréchal Wilhelm Keitel signe la capitulation de la Wehrmacht, le 8 mai 1945. Source : Wikimedia Commons
Conclusion : La Mobilisation
Alors que le monde croyait avoir atteint les apogées de l'horreur durant la Première Guerre Mondiale, il se réveille en 1945 au lendemain d'un conflit encore plus long et encore plus meurtrier. 50 millions de personnes ont perdu la vie, dont la moitié sont des civils. 6 millions de prisonniers, parmi lesquels une majorité de juifs, meurent dans des camps de la mort et la bombe atomique est utilisée par les Américains pour la première fois de l'histoire.
Encore une fois, le monde espère éviter un autre conflit de cette ampleur et se dote d'une nouvelle organisation internationale chargée du maintien de la paix entre les nations. L'ONU, Organisation des Nation Unies, succède à la Société des Nations (SDN) et installe son siège principal à New York dès la fin de la Deuxième Guerre Mondiale.
Tout comme en 1914-1918, la Suisse est épargnée par les conflits et les velléités de conquête des belligérants. Pourquoi ? Les historiens continuent à débattre de la question.
Il y a bien sûr les « services », notamment financiers et bancaires, rendus par la Confédération et les institutions bancaires au gouvernement nazi. Mais pas uniquement.
Le « Réduit national » orchestré par le Général Guisan a sans doute dissuadé Hitler d'annexer la Suisse.
Un bunker près du col du Saint-Gothard. Sa structure, imitant la pierre, se confond avec l'environnement rocailleux. Source : Clément Dominik / Wikimedia Commons (CC BY-SA 3.0)
Guisan prend sa retraite à l'âge de 71 ans et décède à l'âge de 86 ans. Ce 12 avril 1960, 300'000 personnes se pressent au passage du convoi funéraire de celui qui restera, pour toujours dans le coeur des Suisses, « Le » Général.